So French!
Guerre de civilisation. Laïcité. Communautarisme. Immigration. Ces mots résonnent si fort dans les médias, on craint que la France ne soit en pleine crise d'identité. Mais qu'est-ce donc, être français ?
Je suis né en France, mais j'ai grandi en Allemagne. Petit, je parlais sans doute plus allemand que français. Suis-je allemand pour autant ? Non, mais ça fait partie de mon identité; l'Allemagne aura toujours une place privilégiée dans mon cœur. Plus tard, j'ai vécu plus de 20 ans à Paris, et quelques années en Occitanie. Là-bas, je ne suis pas seulement un Parisien, je suis un « parigot », un « gadjo ». Les autochtones sont « espantés » que j'aie pu supporter le trio métro / boulot / dodo. Ailleurs, on a parodié l'accent et l'argot des Marseillais et des Chtis. Or, nous sommes tous français. Une communauté de communautés. Un véritable “melting pot”.
Avant d'identifier ce qui nous unit, voyons ce qui nous sépare.
L'accent, l'argot, on l'a dit. La nourriture, les boissons, la musique, l'artisanat, l'industrie, les us et coutumes. Pourtant, ces différences, qui démarquent des populations éloignées d'un millier de kilomètres l'une de l'autre, se retrouvent aussi dans le cercle social le plus immédiat : la famille.
Mes parents écoutaient Barbara, Jean Ferrat. Mais aussi Elton John, Queen, Supertramp. J'écoutais les Chemical Brothers, Red Hot Chili Peppers. Mais aussi Étienne de Crécy, Téléphone, Noir Désir. Ils mangeaient de la moussaka, je me régale de sushis et sashimis.
De fait, même si j'ai lu, passionnément, Les Trois Mousquetaires, Vingt Ans après et Le Vicomte de Bragelonne d'Alexandre Dumas, j'ai dévoré un bien plus grand nombre d'œuvres anglo-saxonnes, plus récentes, dans leur langue d'origine : l'anglais. Une langue dont je suis tombé amoureux à l'adolescence, et que j'ai depuis pratiquée, sous une forme ou une autre, quotidiennement. Cela fait-il de moi un rosbif ou un ricain ? Pour eux, je resterai à jamais une grenouille.
Une différence plus fondamentale a creusé un fossé avec les miens : mon apostasie. Du haut de mes 13 ans, j'ai décidé que j'étais athée. Avec un peu plus de sagesse et de modestie, et surtout une éducation scientifique, je me suis encarté chez les agnostiques. Que nous reste-t-il en commun ? J'ai hérité de certains goûts, pas tous; certaines valeurs, pas toutes. Mon cerveau s'est formé sous l'influence, incontestablement, de mes parents, grands parents. Les liens de sang constituent une force de la nature, formidable, immuable. Je suis, et serai toujours, un Lignac.
Nous sommes tous différents. La beauté d'une démocratie comme la nôtre, c'est que l'individu y est (presque, ou idéalement) souverain. Il choisit ses croyances; ses goûts sont respectés. L'Homme étant un animal social, il tend néanmoins à faire des choix qui impactent son lieu de résidence, son emploi, ses relations amicales, amoureuses.
Ainsi, les fêtards Parisiens choisissent de vivre dans le 11e arrondissement, pour ses nombreux bars et lieux culturels. D'autres préfèrent le très calme et très bourgeois 7e. Certains se sentent plus libres et tranquilles dans le Marais. Le 13e est le Chinatown version Paname. Le 18e est un voyage au Maghreb et en Afrique subsaharienne, à quelques stations de métro. Doit-on parler ici de communautarisme ? Pourquoi pas ? Est-ce un gros mot ?
Tous les ensembles et sous-ensembles humains sont des communautés. Un citoyen français appartient toujours, bon gré mal gré, à plusieurs de ces communautés: familiale, idéologique, culturelles, affectives; des intersections sociales formant un complexe diagramme de Venn. Finalement, n'est-ce pas cette pluralité qui dessine l'unicité de l'individu ? N'est-ce pas la première réponse (nécessaire mais pas suffisante) à la question: « qui es-tu ? ».
La complexité inhérente à la réalité nous pousse à la simplifier via des amalgames, des raccourcis plus digestes.
Les « jeunes des cités » écoutent du rap. C'est sûrement vrai, en grande partie. Mais quel rap ? Certainement pas celui de ma génération, qui nous avertissait : « laisse pas traîner ton fils, si tu ne veux pas qu'il glisse ». Le nom du groupe, NTM, était cependant, déjà, outrancier.
Ces jeunes « défavorisés » n'écoutent probablement pas non plus le rap d'OrelSan; enfin, qu'en sais-je ? J'écoutais cependant, il y a peu, la collaboration qui a produit le clip Bande Organisée, qui promeut la gloire d'être « pisté par la banale ». Comprenez une course poursuite entre la police et des délinquants ou criminels. De ce clip à un refus d'obtempérer, tragique, d'un jeune Nahel, il n'y a qu'un pas, dans le cerveau d'un adolescent forcément confus, en pleine construction, avec des parents souvent dépassés par une dure réalité.
J'ai bien regardé Arnold Schwarzenegger exécuter violemment, hilare, narquois, des adversaires, sans sommation. J'ai joué à des jeux vidéos que l'on considérait déjà, à l'époque, ultra violents. Mais ces univers restaient confinés dans mon imaginaire. Lorsqu'on confond la fiction avec la réalité, il y a manifestement un gros raté.
Ignorant ma digression, on voit bien que le fait d'aimer le rap ne peut identifier ou regrouper des individus qui n'ont pas grand chose à voir les uns avec les autres. De même, être français, ne peut qu'être réduit à un ensemble de règles et valeurs communes, rassemblant des gens très divers.
Tous les goûts sont dans la nature. C'est pour cela que nous choisissons, pour peu que cela nous soit possible, l'endroit où nous vivons. Mais un quartier, une ville, ne sont pas figés dans le temps. Ils évoluent, leur population aussi; et donc leurs commerces, leurs emplois, le ressenti que l'on peut avoir lorsqu'on les visite, ou lorsqu'on y vit depuis suffisamment longtemps pour observer leur évolution.
Lorsque des propriétaires de longue date se désolent du changement radical de population à Saint-Denis, ce n'est pas par racisme, xénophobie ou islamophobie. C'est parce que la ville qu'ils aimaient tant, n'est plus la même. Leur choix initial a disparu. Leurs goûts, légitimes, ont été annihilés par ceux d'une nouvelle population, devenue majoritaire.
Dans un autre registre, je pense au quartier de Kreuzberg à Berlin, autrefois populaire, devenu le quartier gay de la capitale allemande. Les habitants historiques ne sont pas homophobes; ils regrettent la gentrification qui s'est opérée, avec de nouveaux venus aux revenus plus importants. L'ambiance n'est simplement plus la même. On pourrait aussi accuser le surtourisme d'avoir éteint l'âme de Montmartre. Mais qui est coupable, fondamentalement ? Personne, tout le monde.
On en vient donc, enfin, à ce qui nous unit.
Les millennials qui raillent les boomers, sont devenus les nouveaux vieux de la génération Z. Les croyants pensent mieux savoir que ceux qui ne croient pas. Mais les citoyens ou résidents que nous sommes tous, sont censés respecter la Loi, ultime texte sacré, quelles que soient leurs convictions.
Un texte en perpétuelle évolution, et c'est bien naturel. Un texte qui prime sur les autres livres, quoi qu'en pensent les uns ou les autres. La Torah, la Bible, le Coran, peuvent guider l'individu dans sa quête spirituelle et son développement personnel, mais ne peuvent suplanter la loi républicaine. On ne doit pas agresser son prochain, verbalement ou physiquement, en invoquant un prétexte religieux. Car si on acceptait cela, on forcerait l'avènement d'un état d'anarchie généralisée. Qui souhaite cela ?
« Liberté, Égalité, Fraternité ». On dévoie souvent le premier terme, Liberté : de penser et réfléchir, de parler, de débattre. On oublie aussi le dernier terme, Fraternité : vis-à-vis de son prochain, différent, parfois en difficulté, ou animé d'une flamme brûlante pour l'imprudent qui s'en approche trop. On ne "combat" pas les idées du camp adverse en lui refusant le dialogue, au contraire : il faut, on doit, parler à l'autre. En gardant son sang froid, en acceptant que l'on ne convaincra personne en une seule conversation. On peut espérer, au mieux, planter une graine susceptible de grandir et de produire, à terme, les fruits d'une pensée riche et travaillée.
La Loi est ce lien fragile, garant de la paix pour 70 millions d'habitants. Mais au-delà du Texte, il ne faut pas perdre l'Esprit d'un peuple millénaire. Les nouveaux arrivants doivent respecter cet héritage, sans se priver d'enrichir cette culture. Les autochtones ne peuvent raisonnablement rejeter la moindre évolution, qu'elle soit endogène ou exogène, pas plus qu'ils ne peuvent figer le temps.
N'oublions jamais notre devise. Son sens est plus profond que beaucoup ne le pensent. L'état américain du New Hampshire clame “Live Free or Die”. La France va bien au-delà. Cessons de soulever, par facilité, les sources de divisions; retrouvons les raisons de notre union. Voilà une sainte aspiration, au sens républicain.
Calmes et sereins, tendons la main.
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