Mon dieu, ce psycho

Alors que ma génération considérait les horreurs du XXème siècle comme de lointains cauchemars, les actualités depuis l’absurde et stupéfiante journée du 11 septembre 2001 nous ont ramené à notre condition de pauvres pécheurs, un peu plus sanguinaires qu’on ne voulait l'admettre, un peu moins civilisés qu’on ne le prétendait. Une telle crise existentielle nous amène mécaniquement à reconsidérer la nature de Dieu, à une époque où la religion est devenue, en Occident, presque ringarde.

Lorsque le monde a vu l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 et l’horreur des actes commis à l’encontre de citoyens israéliens des deux sexes et de tous les âges, mais en particulier les femmes et les jeunes filles, on se demande si les nazis, définition moderne du Mal absolu, auraient fait pire. Lorsqu’on apprend les conditions abominables de (sur)vie des Gazaouis, on se demande, incrédule, si les camps de concentration n’étaient pas plus confortables.

On savait l’Homme cruel, mais peut-être l’avions-nous oublié. Or, Dieu créa l’Homme à son image, lit-on dans la Bible. Dieu est-il donc cruel ? Le syllogisme est tentant, mais ce n’est pas parce qu'un fils, élevé à l’image de son père, commet des crimes, que le père est un criminel. Ainsi, ce n’est pas parce que les Hommes sont capables du pire, que Dieu est forcément mauvais.

Pourtant, on comprend difficilement pourquoi le Tout-Puissant tolère tant de peine. Sans réponse satisfaisante, on se console avec la présomption d’un grand Dessein ; on observe que les voies du Seigneur sont impénétrables.

Paradoxalement, cette idée n’arrange rien : si Dieu laisse faire, c’est qu’il aurait pu éviter le pire ; si Dieu guide activement la main des barbares, l’accusation est légitime, qu’elle vienne d’un ange déchu ou d'ailleurs ; enfin, si Dieu n’est pas omnipotent et ne peut pas intervenir, est-il vraiment un dieu ?

La notion de libre arbitre ne fait qu’éroder la vision d’un dieu qui ne serait qu’amour, puisqu’elle autorise la souffrance. De nombreuses raisons peuvent justifier qu'on laisse souffrir son enfant pour son propre bien, mais un parent n’a pas de contrôle direct sur ce qu’il adviendra de sa progéniture. L’analogie a ses limites.

« Heureux êtes-vous si les hommes vous insultent, vous persécutent et disent faussement toute sorte de mal contre vous parce que vous croyez en moi. Réjouissez-vous, soyez heureux, car une grande récompense vous attend dans les cieux. » (Matthieu 5:3-12).

Heureux soient les malheureux ? Vraiment ? Les voies du Seigneur sont impénétrables.

Plus j’y pense, plus la Création résonne comme l'expérience perverse, maudite, d’un savant fou. La théorie de la simulation ne semble plus si farfelue, si l’on considère que seul un être imparfait aurait pu concevoir un tel chaos.

Cette hypothèse, que nous vivrions dans une simulation informatique, n’est pas neuve, mais gagne en crédibilité à mesure que nos capacités de calcul augmentent. Pour la rendre probable, il faudrait que nous soyons nous-mêmes capables de créer une telle simulation, ce qui n’est pas encore le cas.

L’Ascension de ChatGPT vient semer le doute.

Ce Grand Modèle de Langage (Large Language Model ou LLM, en anglais), ne fait que prédire le mot qui en suit un autre. On ne parle pas donc ici d’Intelligence Artificielle Générale, qui aurait les capacités d’apprentissage et d’évolution des humains. Pourtant, ChatGPT est dors et déjà capable de converser, et de créer des programmes fonctionnels, en partant d’une description du résultat désiré.

Comment définit-on une IAG ? On peut se référer au test de Turing, du nom de son inventeur au destin tragique, Alan Turing, pourtant héros de la Seconde Guerre mondiale, qui a conçu et fabriqué l’ordinateur ayant permis de décoder les transmissions radio des Allemands. Son homosexualité lui a valu une condamnation, au choix, à de la prison ferme, ou à une castration chimique. Turing a choisi cette dernière, afin de poursuivre ses travaux. Elle s’est révélée insupportable, et a poussé Turing au suicide deux ans plus tard. Il a reçu un pardon royal pour son « indécence » en 2013.

ChatGPT est aujourd’hui capable de passer ce test, à condition qu’on n’y passe pas trop de temps. Son problème majeur est celui des hallucinations, c’est-à-dire les assertions clairement fausses. Certaines d’entre-elles pourraient passer pour des fake news, et donc maintenir l’illusion d’une intelligence, mais nous autres humains sommes capables de faire la différence entre « Donald Trump est le Président de la République Française » (même les platistes n’y croiraient pas une seconde) et « Le roi Charles III a contracté le VIH » (c’est peu probable).

Comme toutes les IA, ChatGPT a été construit de façon intuitive et empirique, mais son fonctionnement interne est mal compris d’un point de vue scientifique. Les voies de ChatGPT sont impénétrables.

René Descartes écrivait « Je pense, donc je suis. ». Je prétends que la bonne réflexion est « Je souffre, donc j’importe. ». L’intelligence de mon smart-phone est froide. Elle ne provoque pas mon empathie. Elle est elle-même incapable d’une telle connexion. On ne se soucie pas de l’intelligence des dauphins, des vaches ou des poules ; on se soucie de leur éventuelle souffrance. Le jour où une IA exprimera spontanément une douleur, je commencerai sérieusement à me poser des questions.

Ainsi, l’hypothèse de la simulation n’est pas si saugrenue. On imagine aisément un être humain simuler notre évolution, pour éviter le réchauffement climatique, ou une Troisième Guerre mondiale, ou pire.

Par ailleurs, la sensation de déjà-vu, dont on a tous fait l’expérience plus d’une fois, et scénarisée dans le film Matrix, me fait penser à un phénomène classique en informatique : la lecture d’une zone de la mémoire vive d’un ordinateur, qui ne correspond pas à la zone allouée par le système d’exploitation au programme qui effectue la lecture. Cette opération est interdite, mais peut se produire à cause d’un bug (plus ou moins aléatoirement), ou via une cyberattaque exploitant le bug. Le programme lit alors des données qui ne lui sont pas destinées. On peut imaginer que les données en question soient des reliquats d’une simulation précédente, ou celles d’une simulation concurrente (ce qui pointerait aussi vers la théorie du multivers).

Prouver que nous vivons dans une simulation revient à prouver que Dieu existe. Les voies du Simulateur sont impénétrables.

Il ne serait pas surprenant que l’architecte de l’Enfer sur Terre soit de notre propre espèce. Il se dirait probablement que nous ne sommes qu’une suite de zéros et de uns, des courants électriques agencés par des transistors. On comprendrait mieux, alors, qu’il puisse manquer d’empathie envers des martyrs numériques. Cette conclusion serait pourtant terrible.

Dieu serait un psychopathe.

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